Entre deux mondes
« La tristesse nous laisse entre deux mondes, ni désespoir ni indifférence, elle est une promenade au bord de la catastrophe, mais avec élégance, comme un enfant qui cours le long d’une falaise sans percevoir le danger, les yeux dans la fracture du ciel, le dessin des nuages, la douceur du vent. (…) Elle délimite un espace intérieur flou, déraisonnable, où l’on reste au bord des larmes, avec en même temps un apaisement étrange. (…) Prendre le risque de la tristesse, ce serait le contraire de l’entrée en mélancolie, comprendre qu’elle est la doublure secrète de la béatitude ; et que cet élargissement de l’être vers laquelle elle nous fait signe, nous fait nous souvenir d’une autre possibilité d’être à nous-mêmes et au monde, dans l’hospitalité à ce qui vient. » Au risque d’être triste, in Éloge du risque.
Anne Dufourmantelle aurait eu 60 ans aujourd’hui. Et je ne sais toujours pas comment ses mots me touchent avec autant d’immédiate intensité : des flèches me traversant sans ralentir, gagnant le cœur qu’elle élargissent.
Peut-être est-ce le risque de la tristesse — et celui des larmes — que je prends en la lisant ainsi, pour ainsi dire, avec elle. Celle de sa disparition, celle de ne pas l’avoir rencontrée, et d’autres encore au profond sûrement. Et dans le même temps la joie, celle qu’il nous reste de ses mots, son sourire et son regard leur donnant une chaleur et une présence entre deux mondes, et peut-être, en nous-même, une hospitalité à ce qui est advenu.
Photographie du 8 novembre 2015, Jean-Marc Zaorsky