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Nos liens vivants

Photographie de Bernard Plossu

Nous sommes responsables de nos émotions. Vraiment ?

En CNV on nous dit que nous sommes responsables de nos émotions. Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce vrai ?

Dans les milieux de la communication bienveillante, on apprend que si l’on se sent en colère envers une personne, ce n’est pas elle qui est responsable de notre colère. Nous ne sommes pas en colère à cause de cette personne, mais parce que nos besoins qui n’ont pas été respectés par elle, et que nous sommes responsable de cette colère en nous, que l’autre n’en est que “l’élément déclencheur”, et que cette émotion est en quelque sorte notre choix. À la place nous aurions pu en effet nous sentir triste, abattu·e ou bien à l’opposé amusé·e, voir content·e. Art-Mella propose dans sa BD “Émotions, enquête et mode d’emploi” un exemple avec des chaussettes qui traînent : cela pourrait nous agacer, nous mettre en colère ou au contraire nous amuser de les voir, ou encore peut-être nous toucher car cela témoigne d’une certaine liberté : un même stimulus et des ressentis différents… Pourtant, que dirait-on s’il s’agissait d’une gifle que l’on nous donne ? Nous pourrions nous sentir en colère, avoir peur, ou alors en être heureux·se de ce que cela montre de combativité de la part de la personne qui me donne cette gifle ? Cela dépend-il du contexte ? Et si nous avions de part notre comportement “mérité” cette gifle ? Alors, poussons l’exemple un peu plus loin : ce n’est plus une gifle mais un coup de poing. Aurait-on les mêmes doutes ? Dirait-on toujours que nous sommes responsables de nos émotions ? Comment sortir de cette vision et faire la part des choses ?

Je suis responsable de mes émotions dans la mesure où c’est en moi qu’elles arrivent. Cependant elles viennent en réaction à autrui, que cela soit de ses gestes, de ses paroles ou de son non-verbal. L’autre en est donc bien la cause première. Et c’est cette cause externe qui provoque en moi la cause neuro-physiologique de mes émotions. Il y a donc une co-responsabilité de ce que je ressens, bien qu’elle ne soit pas symétrique.

Mais qu’entend-on ici par “responsabilité” ?

Il y a d’abord la responsabilité dans le sens de la causalité : je suis responsable de ce que je ressens lorsque je reconnais ma part dans ce que je ressens, sans minimiser celle de l’autre qui est en la cause et pas seulement l’élément déclencheur.

Ensuite vient ma part d’interprétation, de croyance, de ce que je pense savoir de la situation et du sens que ce que l’autre dit ou fait peut avoir. Tout cela fait que passé l’émotion première, je vais la développer intérieurement en la nourrissant, en construisant autour, ce qui va peut-être pouvoir provoquer d’autre émotions et construire des sentiments.

Je reprends l’exemple du coup de poing, qu’à précisé Hélène Pétry (ici)[https://www.instagram.com/reel/DBT8CxloBG7] : selon le contexte, une attaque dans la rue ou un entrainement de boxe, mes émotions et sentiments seront différents de par ce que je sais ou me raconte de la situation et ce que je sens ou anticipe du respect de mes besoins. Mon besoin de sécurité reste nourrit si je pense que le coup est accidentelle et ne va pas se réitérer (bien qu’une certaine peur ou doute peut être là quand même), alors que dans un autre contexte ce ne sera pas le cas.

Le paysage dans lequel notre émotion première se développe et devient autre chose dépend donc de nous : ce que nous savons ou nous racontons du contexte, et de ce que nous interprétons de l’intention de l’autre. Cela touche donc au sens que nous donnons à l’élément déclencheur de nos émotions.

Enfin, dans un troisième temps, se trouve notre responsabilité de choix quant à notre réaction, au sens de “prendre la responsabilité de” ce que j’en fais : pour moi, c’est aussi une responsabilité, un choix de ce que je vais dire ou faire à partir de cette émotion, qu’elle soit en moi ou que je la vois chez l’autre, que je la vive où que j’en sois la cause. Ce que j’en fais, non par réaction dans laquelle “je suis agit” donc, mais par choix.

La responsabilité tient dans ce que j’en fais

Je suis responsable de ce que je fais de cette émotion. Et l’autre est responsable de ce qu’il fait de me savoir la vivre.

Qu’est-ce que je fais depuis cette émotion que je vis ?

Est-ce que je garde pour moi l’émotion, en attendant qu’elle passe, et accumulant de ce fait quelque chose qui risque de s’exprimer autrement plus tard, en somatisations plus ou moins difficile à vivre (douleurs, maladie…), en explosion qui peut faire mal, voire en dépression et même implosion ?

Est-ce que je l’expose à l’autre dans une réaction sans recul, en lui reprochant peut-être de me faire ressentir cela, avec exigence et ultimatum qui ne tiennent pas compte de lui ou d’elle et laisse un conflit non résolu ?

Ou bien, est-ce que je la pose verbalement en parlant de moi et de mes besoins, dans un soucis d’entendre et de comprendre ceux de l’autre, et de trouver des solutions qui conviennent à tous les deux, qu’elle soit dans le commun ou bien dans l’éloignement ?

Et l’autre qui me voit vivre ces émotions ?

Est-ce que l’autre utilise l’arguments que je suis responsable de ce que je ressens pour se déresponsabiliser et peut-être aussi me culpabiliser, puis me laisser seul·e avec cet inconfort voire cette souffrance, et continue en toute bonne conscience ? De même si je suis co-responsable de mes émotions je ne peux pas reprocher à l’autre d’en être la cause. En revanche je peux questionner ce qu’il ou elle choisi d’en faire.

Est-ce qu’elle ou il entend la nature et prend la mesure de ce que je vis ? Et partant de là, remet en question sa position, ses paroles ou ses actes, en demandant éventuellement pardon, et en cherchant comment contribuer ensemble à ce que nos besoins respectifs soient respectés ?

Ai-je toujours le choix de ma réaction ?

Lorsque je suis agit par mes émotions, sans avoir la conscience, la distanciation intérieure par rapport à ce que je vis (et je ne parle pas de dissociation ici, ce qui est totalement autre chose) je réagis sans avoir de prise sur ma réaction, cela sort “tout seul”, et compte-tenu de nos inconscients, n’est pas toujours pour mon bien ni celui de l’autre. Ma responsabilité est alors de prendre conscience de ce que je vis, et dans la mesure du possible de mes fonctionnements inconscients, de ce qui ce joue là de résonance avec ma propre histoire, mes blessures, rancœurs. Ce n’est qu’une fois cette distance prise entre moi et ce que je vis, à laquelle invite la communication bienveillante (pour cela appelé parfois communication consciente), cette prise de conscience que je ne suis pas mon émotion mais celui ou celle qui la vit, que je peux faire le choix d’une réaction qui prendra soin de mes besoins et de ceux de l’autre. Cela demande un temps plus ou moins rapide, selon l’habitude que l’on en a, et il est judicieux de reporter dans un premier temps nos réactions instinctives avant de réagir pour nous laisser ce temps de la différentiation, et par là de pouvoir prendre la responsabilité de notre choix. Pourtant nous n’en sommes pas toujours capable et c’est un chemin d’apprentissage constant.

Distinguer la cause de l’être

Il est important de garder à l’esprit que ce n’est pas l’autre qui me fait ressentir telle émotion, mais ses actes ou paroles en lien avec des besoins respectés ou non. De même ce sont mes actes ou mes paroles et non moi-même en tant qu’être qui provoque telle émotion.

L’invitation est donc de parvenir à être consient·e et responsable ce que nous vivons et des choix que nous faisons à partir de nos émotions et ressenti, afin de se rendre mutuellement la vie plus belle.


(Édité le 20-10-2024)


Photographie : Bernard Plossu, “Paris, France, 1978”.