Travail


« Travail : le pacte originel de l’homme avec la nature, de l’âme avec son corps. » (OC, VI-1, 105)




Contact spécifique avec la beauté du monde

« Le travail physique constitue un contact spécifique avec la beauté du monde, et même, dans les meilleurs moments, un contact d’une plénitude telle que nul équivalent ne peut se trouver ailleurs. L’artiste, le savant, le penseur, le contemplatif doivent pour admirer réellement l’univers percer cette pellicule d’irréalité qui le voile et en fait presque pour tous les moments de leur vie, un rêve ou un décor de théâtre. Ils le doivent, mais le plus souvent ne le peuvent pas. Celui qui a les membres rompus par l’effort d’une journée de travail, c’est-à-dire d’une journée où il a été soumis à la matière, porte dans sa chair comme une épine la réalité de l’univers. La difficulté pour lui est de regarder et d’aimer ; s’il y arrive, il aime le réel. » (AD5, 161)

« La fonction spirituelle du travail physique est la contemplation des choses, la contemplation de la nature. »
(OC, VI-3, 399).

« Nulle poésie concernant le peuple n’est authentique si la fatigue n’y est pas, et la faim et la soif issues de la fatigue. »
(OC, VI-2, 63)


Le travail physique comme obéissance

« Le travail physique consenti est, après la mort consentie, la forme la plus parfaite de la vertu d’obéissance. »
(E2, 372)

« Travailler - si l’on est épuisé, c’est devenir soumis au temps comme à la matière ; La pensée est contrainte de passer d’un instant à l’instant suivant sans s’accrocher au passé et à l’avenir. C’est là obéir.» (PG5, 204-205)

« Celui qui doit travailler tous les jours sent dans son corps que le temps est inexorable. Travailler. Éprouver le temps et l’espace. »
(OC, VI-2, 63)


Équilibre apparent entre le vouloir humain et la nécessité

« La nécessité est une ennemie pour l’homme tant qu’il pense à la première personne. A vrai dire il a avec elle les trois espèces de rapports qu’il a avec les hommes. Par la rêverie ou par l’exercice de la puissance sociale elle semble son esclave. Dans les contrariétés, les privations, les peines, les souffrances, mais surtout dans le malheur elle apparaît comme un maître absolu et brutal. Dans l’action méthodique il y a un point d’équilibre où la nécessité, par son caractère conditionnel, présente à la fois à l’homme des obstacles et des moyens par rapport aux fins partielles qu’il poursuit, et où il y a une espèce d’égalité entre le vouloir d’un homme et la nécessité universelle. Ce point d’équilibre est aux rapports de l’homme avec le monde ce qu’est la justice naturelle aux rapports entre les hommes (...). » (IPC, 144)

« L’équilibre entre le vouloir humain et la nécessité dans l’action méthodique est seulement une image ; si on le prend pour la réalité, c’est un mensonge. Notamment, ce que l’homme prend pour des fins ce sont simplement des moyens. La fatigue force à s’apercevoir de l’illusion. Dans l’état de fatigue intense, l’homme cesse d’adhérer à sa propre action et même à son propre vouloir ; il se perçoit comme une chose qui en pousse d’autres parce qu’elle est elle-même poussée par une contrainte. Effectivement la volonté humaine, quoiqu’un certain sentiment de choix y soit irréductiblement attaché, est simplement un phénomène parmi tous ceux qui sont soumis à la nécessité. La preuve est qu’elle comporte des limites. L’infini seul est hors de l’empire de la nécessité. »
(IPC, 145)